Le vote utile est anti démocratique


Depuis quelques semaines, et surtout à l’approche du 22 avril 2012, on entend de ci, de là, la ritournelle sur la nécessité d’un « vote utile » au 1° tour. « On » prétend que c’est la seule façon efficace de « changer maintenant », de « sortir rapidement du traumatisme sarkozyste ». Or, la technique « vote utile » est illusoire et anti démocratique. Voyons par le menu. Par Gérard Molines, Sursaut citoyen, Espeluche.

Rappels
1 – La V° République a imposé le scrutin majoritaire à deux tours. L’idée, en 1958, était de dégager une majorité électorale à l’Assemblée nationale capable de légiférer avec efficacité sans retomber dans les travers de la IV° République où les compromissions étaient fréquentes entre les groupes. En 1962, à la faveur d’un référendum, le scrutin majoritaire a concerné aussi l’élection du Président de la République.

2 – Le principe posé par ce mode de scrutin est simple : au 1° tour l’électeur CHOISIT son représentant. Au second tour l’électeur ELIMINE l’un des deux candidats restés en lice, puisque la loi ne retient que les deux candidats arrivés en tête. Le choix véritable se fait donc au 1° tour. L’électeur exprime donc au 1° tour la capacité à désigner son représentant.

3 – Mais l’électeur perd cette capacité au 2° tour, puisqu’il élimine l’un des deux restants en lice. Le candidat éliminé est donc refoulé (pour des raisons multiples et personnelles). Mais le candidat retenu n’exprime pas un choix d’adhésion de la part de l’électeur. Le candidat retenu par l’électeur l’est « par défaut » démocratique. Au 2° tour l’électeur n’a pas de choix positif. Il « exclut » l’un des deux prétendants, c’est tout !

4 – Alors, si la démocratie se définit par deux critères, le choix électif et la délégation de souveraineté octroyée à celui qui est élu (depuis 1789, le peuple est souverain), le principe démocratique est bafoué à travers le scrutin majoritaire à deux tours. L’appel au « vote utile » renforce cette entorse au principe universel de représentativité et de souveraineté populaire, puisque dès le 1° tour l’électeur devrait être privé de son choix véritable. L’appel au « vote utile » prive donc l’électeur du choix d’exprimer ses convictions. Il prive encore l’électeur de la capacité juridique que lui donne la Constitution de désigner celle ou celui vers qui il souhaite déléguer sa souveraineté.

Seul le mode de scrutin proportionnel (à un tour) exprime le plus fidèlement les deux principes démocratiques de choix et de délégation, et permet aux électeurs d’exprimer clairement leurs convictions. Pour l’instant, l’élection présidentielle ignore ce mode de scrutin. Donc, au premier tour, le 22 avril 2012, il est logique de voter pour le candidat de son choix afin de mesurer son impact réel dans la légitimité démocratique! Ne pas le faire (« vote utile » ou abstention) c’est abandonner l’idéal démocratique !

En conclusion :

1 – Le vote utile « lamine » les nuances de la pensée car il tend à faire rentrer toutes les idées dans un même « moule »; il réduit ainsi le champ de l’intelligence politique.

2 – Le vote utile est l’agent pernicieux du bipartisme ; il tend à diriger vers une alternance (et non pas vers une alternative) la réflexion politique ; tout se passe comme si le bipartisme était mis en place pour fortifier une société d’économie libérale.

3 – Le bipartisme est, et reste l’outil privilégié du fédéralisme (ce pour quoi militent les dirigeants du PS et de l’UMP), comme aux États-Unis d’Amérique ou en Allemagne où la distinction des programmes des uns et des autres est illusoire.

4 – Le bipartisme c’est la concurrence entre deux groupes, la compétition, la surenchère, autrement dit l’instrument privilégié du néolibéralisme.

5 – Le but de toute compétition n’est-il pas de laisser sur le coté un vaincu et de célébrer un vainqueur ? A terme, la « compétition électorale » (expression utilisée par nos subtils journalistes) n’est-elle pas le début du monopole? Donc de la domination de l’un sur les autres? Donc du parti unique?

6 – Le vote utile serait ainsi la partie immergée d’un iceberg, un instrument invisible du néolibéralisme-fédéraliste. La partie visible aurait l’apparence de la démocratie (c’est l’agitation médiatique autour de quelques « héros » politiques permettant l’illusion du débat); la partie masquée aurait pour mission de renforcer l’individualisme forcené propre au néolibéralisme et l’adhésion à une « gouvernance fédérale ». Par là, le vote utile, ouvrirait la voie à la fin programmée du Politique et à la victoire recherchée de l’Economique, c’est-à-dire à la domination du financier et du gestionnaire sur le citoyen